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L’ubérisation : progrès ou retour en arrière ?

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Au mois de juin dernier, la France entière a été secouée par la fronde des taxis à l’encontre d’Uber. La startup californienne a connu une expansion sans précédent et fait tomber nombre de sociétés de transport dans l’obsolescence. Une vague telle qu’elle a donné son nom à un nouveau phénomène : l’ubérisation. Retour sur cette vraie révolution.

La révolution Uber

Une capitalisation à 50 milliards de dollars, 140 millions de courses à travers le monde en 2014, un million d’utilisateurs en France, voilà ce que pèse désormais Uber. Née en 2009, la startup californienne a connu une expansion hors normes. A titre de comparaison, le fabricant automobile historique Renault fait figure de « petit » avec une valeur boursière à hauteur de 26 milliards de dollars, soit deux fois moins que la jeune entreprise américaine. Une telle ascension n’est pas sans rappeler celle des « anciens » du Numérique, les GAFA – Google, Amazon, Facebook, Apple – qui pèsent à eux quatre désormais plus que toutes les entreprises du CAC 40 mises bout à bout, environ 1 675 milliards de dollars contre 1 131 milliards.

La société Uber a véritablement révolutionné le transport à la personne en mettant en relation des chauffeurs et des passagers au travers d’une application pour smartphone. Son développement exponentiel et le succès qu’elle a rencontré ont commencé à secouer le marché du transport de particuliers, jusqu’ici dominé quasi exclusivement par les taxis. Une réussite d’autant plus extraordinaire que la société ne possède pas le moindre taxi ! Elle n’est en effet qu’un intermédiaire entre une offre et une demande en temps réel et mobilise des véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC).

L’application a donné naissance à une concurrence jugée déloyale pour les taxis car leur activité est extrêmement réglementée et lourde en termes de charges, là où les chauffeurs Uber semblent échapper au système, ce qui leur permet de proposer des prix plus compétitifs. De surcroît, Uber semble avoir donné satisfaction aux utilisateurs, rassurés par le système de notation des chauffeurs qui permet de diffuser l’information sur la qualité du service et par la géolocalisation qui leur permet de savoir en temps réel où est leur voiture. Un service de meilleure qualité avec des prix plus avantageux, en somme la recette parfaite pour remporter un marché au détriment des acteurs déjà existants.

La tornade de l’ubérisation

Cette réussite a donné naissance à un nouveau concept, celui d’ubérisation. Ce néologisme décrit le système qui permet de mettre des ressources à disposition d’un client au travers d’un smartphone, et de façon plus large il désigne également la disparition soudaine d’une activité du fait de l’apparition de cette application. Pour reprendre les termes du patron de Publicis Maurice Lévy : « tout le monde a peur de se faire ubériser, c’est l’idée de se réveiller soudainement en découvrant que son activité historique a disparu. »

Ce phénomène n’est pas réellement nouveau, il avait déjà été mis en évidence par l’économiste autrichien Joseph Schumpeter qui l’avait baptisé « création destructrice ». L’idée est que l’apparition d’une nouvelle technologie remplace un savoir-faire plus ancien et le rend obsolète. Ces changements ont précipité certaines entreprises en position de force vers la faillite. Ainsi Kodak, leader de la photographie, a progressivement périclité en ne sachant pas prendre le virage numérique. Il en est de même pour l’ancien leader de la téléphonie portable Nokia qui n’a pas su s’adapter suffisamment rapidement à l’arrivée des smartphones.

Toutefois la nouveauté avec l’ubérisation réside dans la soudaineté de la transformation de l’activité touchée, et par son vecteur : des applications pour smartphones.

Secteurs ubérisés : touchés, coulés ?

Parallèlement aux taxis qui ont suscité un tôlé médiatique, d’autres secteurs sont touchés par l’ubérisation et connaissent également une refonte en profondeur.

L’hôtellerie connait un changement radical avec l’application Airbnb, une plateforme qui permet à des particuliers de proposer des nuits payantes à leur domicile. Les syndicats d’hôtelier grondent puisque de nombreux établissements se voient contraints de fermer leurs portes à cause de l’apparition de cette application, fer de lance de l’ubérisation.

Dans la même veine les services de banques et assurances sont en pleine évolution avec l’apparition des fintechs, des sociétés qui permettent d’avoir accès à des services que n’offrent pas les acteurs bancaires classiques comme des paiements mobiles, de la gestion de portefeuille à distance ou des changements de devises à moindre cout.

Amazon a profondément transformé l’industrie du livre en intégrant l’édition, l’impression et la distribution des livres. En coupant ainsi tous les intermédiaires, l’entreprise s’est assurée la domination du marché et permet également la publication des contenus en ligne à moindre prix.

Pour ce qui est des métiers du droit, de nombreuses plateformes ont vu le jour et proposent des services simples qui permettent de contourner l’usage d’un avocat qui serait plus couteux. Ainsi l’utilisateur a la possibilité de régler par exemple des questions de création d’entreprise, de recrutement de salariés, de protection des marques ou bien encore de préparer des dossiers de saisine des tribunaux d’instance.

A l’heure actuelle les activités manuelles n’ont pas encore entamé leur ubérisation mais à terme les services des plombiers, des garagistes, électriciens risquent de voir leur organisation bouleversée. A la manière d’Uber, une plateforme pourrait en effet permettre aux clients d’entrer directement en contact avec des personnes leurs proposant ce type de services, coupant l’herbe sous le pied des professionnels établis.

Les transformations radicales auxquelles sont confrontés ces secteurs touchés par l’ubérisation posent toutefois des questions de fond. Ces activités sont-elles vouées à couler ?

L’ubérisation : évolution ou précarisation ?

Jacques Attali déclarait lors de la crise Uber « le statut de demain, c’est celui d’intermittent du spectacle ». Il critiquait ainsi le régime social des travailleurs Uber, mettant en exergue les problèmes sociaux que pourrait générer ce phénomène.

L’ubérisation pose effectivement des questions en termes de statut. Les chauffeurs d’Uber travaillent de façon indépendante, ils ne sont pas salariés de l’entreprise et ont de facto un accès plus limité à la protection sociale. Il en est de même pour les hôtes d’Airbnb. Certains dénoncent donc une précarisation potentielle des travailleurs à long terme. Les services « ubérisés » sont très confortables pour les clients mais peuvent être dangereux pour le fournisseur si celui-ci est éjecté du système. A titre d’exemple, l’obtention d’une mauvaise note par un utilisateur ou la maladie du prestataire de service peut donc pousser le travailleur « ubérisé » vers la sortie sans aucune protection sociale.

Le cas d’Amazon a beaucoup fait couler d’encre, notamment depuis que des journalistes se sont intéressés aux conditions de travail proposées par l’entreprise américaine. Nombre d’entre eux ont ainsi dénoncé des pratiques contestables telles que des horaires démesurés, des cadences infernales ou encore de trop faibles salaires. En parallèle, de nombreuses librairies ont dû fermer faute de clientèle. Cette évolution n’est donc pas sans séquelles.

A l’inverse, l’ubérisation apporte une certaine flexibilité et permet au salarié de devenir entrepreneur, de choisir son rythme de travail et d’être son propre patron. Ainsi les prestataires d’Airbnb saluent la possibilité de choisir les périodes où ils accueillent des clients, de même que les chauffeurs Uber se réjouissent de pouvoir déterminer leur quantité de travail. Beaucoup d’entre eux déclarent avoir une activité annexe, leur permettant ainsi de combiner un emploi stable avec une activité flexible leur fournissant une source de revenu complémentaire.

En somme, il semblerait que l’ubérisation pourrait mener les travailleurs à plus de liberté mais à plus de risque dans leur activité.

Malgré la menace qu’elle peut constituer pour certaines activités historiques, l’ubérisation offre également de nouvelles opportunités professionnelles et redéfinit l’organisation du travail. Il est difficile de voir comment résister à ce phénomène, à la fois dynamique et flexible, qui jusqu’à présent emporte tout sur son passage.

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