Evgeny Morozov

Evgeny Morozov, l’esprit critique d’Internet

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Dans ses ouvrages, ses articles et ses nombreuses chroniques, Evgeny Morozov ne cesse de critiquer l’enthousiasme suscité par l’usage des nouvelles technologies et plaide pour une plus grande vigilance à leur égard.

Internet est un formidable vecteur de liberté. Son utilisation a permis au peuple de faire entendre sa voix lors des soulèvements contre les dictatures. Facebook et Twitter ont permis de contourner la mainmise des Etats sur les médias traditionnels et contribué à relayer informations, motifs de contestation et lieux de rassemblement. Dans la vie quotidienne, la toile et ses applications semblent apporter une solution à des problèmes de plus en plus variés, et tend à faciliter, et donc à améliorer l’existence de ses utilisateurs. La révolution numérique est en marche, menée par ses nouveaux gourous, et s’opposer à son avancée serait vain, voire stupide. Pourtant, Evgeny Morozov, véritable poil à gratter de la Silicon Valley, ne cesse de nuancer cette vision trop simpliste liée aux nouvelles technologies et à ses puissants représentants.

Désacraliser Internet

L’écrivain d’origine biélorusse, âgé de 31 ans, et qui réside aujourd’hui aux Etats-Unis, a passé ces dernières années à analyser la place occupée par Internet dans la société contemporaine. S’inscrivant en porte-à-faux contre un certain idéal romantique, où les entreprises IT sont saluées pour leurs innovations et leurs patrons érigés en apôtres du progrès, la pensée d’Evgeny Morozov se veut beaucoup plus pessimiste.

Son premier ouvrage, paru en 2011 et intitulé « The Net Delusion: The Dark Side of Internet Freedom », tempère l’idée d’un Internet vecteur de démocratie et de contestation politique. Publié en plein « Printemps arabe », le livre prend pour exemple les soulèvements qu’a connu l’Iran en 2009 et qualifiés par l’Occident de « Révolution Twitter ». Le site de micro-blogging avait alors été salué comme le ferment de la contestation, laissant entrevoir une extension mondiale de la démocratie par le biais des réseaux sociaux. Opinion qui, selon Evgeny Morozov, se doit d’être contrebalancée. Opposants et contestataires ne sont en effet pas les seuls à utiliser Internet, et les gouvernants ne sont pas en reste. Dans l’exemple du soulèvement iranien, les forces au pouvoir se sont aussi servies des réseaux sociaux pour repérer les dissidents, les menacer, et encourager les supporters du régime en place à descendre dans la rue.

Si les démocraties occidentales se sont enthousiasmées de l’utilisation des tweets comme d’un contre-pouvoir libérateur, Morozov fait remarquer qu’à l’époque, en 2009, seuls 19 235 comptes Twitter étaient recensés en Iran, représentant 0,027% de la population.

Un moyen de repérer les opposants

De plus, les autorités avaient alors observé de très près les comptes Facebook des manifestants, ce qui leur a permis de procéder non-seulement à leur arrestation, mais également à celle de leurs relations. Et encore les réseaux sociaux ne sont que la partie la plus inoffensive. D’autres outils de surveillance généralisée s’appliquent aussi de manière beaucoup plus sournoise et invisible. Les sociétés spécialisées dans les « écoutes » numériques sont en plein essor, et la France, sur ce marché, n’est pas en reste. Sans compter l’armée de hackers déployée par les gouvernements, en charge de traquer et de piéger les esprits trop rebelles.

Vient enfin la propagande, qui trouve en Internet un terreau fertile. Pour ne citer qu’un exemple, au moment de la parution du livre d’Evgeny Morozov, Hugo Chavez, le président vénézuélien d’alors, totalisait plus d’un million de followers sur Twitter. Des Etats comme la Chine et la Russie développent leurs propres réseaux sociaux afin de mieux contrôler les utilisateurs.

Lutter contre le « solutionnisme »

Le succès de « The Net Delusion… » a permis au jeune essayiste de se voir offrir une tribune dans les publications les plus prestigieuses. Collaborant avec de nombreux journaux américains tels que le New York Times, le Guardian, le Wall Street Journal ou encore Newsweek, ses articles sont repris dans une grande partie de la presse internationale. De quoi largement relayer sa pensée, qui s’attaque, depuis son dernier ouvrage, à ce que l’auteur nomme le « solutionnisme ». Dans « Pour tout résoudre cliquez ici », Evgeny Morozov fustige la tendance de nos sociétés à tout vouloir solutionner par le biais d’Internet.

Cette illusion consistant à croire que le numérique viendra à bout de tous les problèmes est non-seulement inefficace, mais aussi dangereuse. En délégant à des machines le soin de penser et d’agir pour nous, l’humanité aurait plus à perdre qu’à gagner. Peu à peu, nous prévient Morozov, nos capacités intellectuelles, cognitives et même émotionnelles risqueraient de s’en retrouver considérablement amoindries. Offrant à première vue une solution aux maux les plus variés, l’usage d’Internet ne s’attaquerait pas aux causes, mais simplement au traitement des symptômes, laissant demeurer les problèmes de fond.

Une menace réelle pour Evgeny Morozov

En plus de l’omniprésence des nouvelles technologies dans nos vies quotidiennes, les grandes sociétés de la Silicon Valley deviennent tentaculaires, influençant l’économie, la politique et la société. Et tout cela ne serait qu’un début : les Etats, en manque de liquidités et confrontés à des problèmes financiers récurrents, pourraient de plus en plus « sous-traiter » certaines taches autrefois régaliennes à des compagnies privées.

Tout le monde connait les efforts entrepris par Google pour s’implanter dans des secteurs très éloignés de son cœur de métier. Demain, l’entreprise de Mountain View officiera très certainement dans le secteur bancaire, la santé et l’éducation. Evgeny Morozov en est en tout cas persuadé. Seule solution : briser les monopoles exercés par des groupes comme Apple, Facebook ou Google, les considérer comme des biens publics, et, surtout, tenter de les réguler, comme cela avait été le cas pour les acteurs de la téléphonie et de l’énergie. S’il reste sceptique quant à la volonté des Etats d’inverser la tendance, l’essayiste, qui prépare depuis 2013 un doctorat de philosophie à Harvard, se défend d’être technophobe. D’ailleurs, un grand nombre de ses articles sont consultables sur son blog. Une bonne manière d’affirmer qu’Internet peut, malgré tout, être un outil fort utile…

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