Avec l’essor des objets connectés, le secteur de la santé est en train d’amorcer une mutation qui impactera tous ses acteurs, bouleversant les habitudes des médecins, des patients, et de l’industrie pharmaceutique. Comment ces innovations changeront elles un secteur qui accuse jusqu’à présent un certain retard ? Jusqu’où l’économie des grands groupes pharmaceutiques sera-t-elle concernée ? Et quel en sera l’impact pour le patient ?
Le terme de e-santé, ou m-santé, englobe toutes les nouvelles pratiques de partage d’information concernant la santé, par le biais des nouvelles technologies et des objets connectés. Apparu il y a de nombreuses années avec la démocratisation d’internet, le phénomène s’est pendant longtemps cantonné aux sites et forums médicaux. Des sites dont la fréquentation dénote l’engouement des Français pour la recherche et l’échange d’informations médicales. Doctissimo, le principal portail de santé francophone, se classe à la douzième position des sites les plus consultés d’internet . Sur Twitter, le nombre de conversations liées à la santé s’est accru de manière spectaculaire ces deux dernières années. Ces plateformes ont aussi eu l’intérêt de permettre au patient d’acquérir une culture médicale et de pouvoir s’informer à propos de sa santé. Mais aucune évolution majeure n’est jusqu’à présent venue modifier profondément ce paysage, laissant subsister un modèle médecin/patient/officine inchangé.
Les (r)évolutions technologiques
Près de la moitié des Français utilisent des objets connectés. La généralisation des smartphones et des tablettes ont ouvert la voie à des outils « intelligents » de suivi médical. En augmentation constante, ces applications ont permis d’accomplir de grands progrès dans le suivi des traitements, notamment pour les personnes souffrant de maladies chroniques. Mesure du taux de glucose dans le sang pour les patients atteints de diabète, pilulier connecté permettant une meilleure observance d’un traitement, le catalogue des applications existantes est assez vaste pour aborder tous les problèmes de santé d’une manière nouvelle. De la dépression à l’arthrose, en passant par l’aide aux personnes dépendantes ou les pathologies cancéreuses, tous les aspects de la santé sont abordés, avec plus ou moins de bonheur . Ces applications deviennent matures et ne sont plus de simples gadgets pour personnes dans le vent. Reste encore à conquérir un public senior parfois mal à l’aise avec les nouvelles technologies, et qui est pourtant plus concerné par des troubles de la santé intervenant avec l’âge.
Des médecins eux aussi concernés
Le grand public n’est pas seul concerné par ces nouveautés, puisqu’un grand nombre d’entre elles s’adressent aux professionnels de la santé. Formation continue, gestion des effets secondaires, consultation des bases de données médicamenteuses, 94% des médecins déclarent utiliser leur smartphone ou leur tablette à des fins professionnelles . Des praticiens qui auront aussi à s’adapter à la télémédecine, dont l’usage devrait se généraliser au cours des prochaines années. La consultation à distance, l’assistance et l’expertise médicale, mais aussi la surveillance des patients faciliteront l’accès aux soins et représenteront un gain de temps pour le médecin.
Une marge de progression constante
Selon une étude réalisée par BVA pour Syntec numérique et parue en février, 64% des utilisateurs d’objets connectés estiment que la santé est un domaine à privilégier, et 21% d’entre eux utilisent ces outils pour surveiller leur santé, ce qui représente 7 millions de personnes. Les éditeurs français ont déjà mis sur le marché 750 applications en rapport avec la santé. Ces applications, souvent élaborées en collaboration avec des médecins, sont récompensées tous les ans par les Trophées de la santé mobile . En tout, ce sont près de 100 000 applications qui sont disponibles sur les principales plateformes de téléchargement. 42% d’entre elles reposent sur un modèle payant, et le montant des recettes devrait avoisiner les 26 milliards de dollars d’ici 2017.
Comment s’adaptent les pharmacies ?
En France, le secteur pharmaceutique n’a jusqu’alors été que très peu impacté par ces évolutions. Les officines n’ont connu aucun changement majeur dans le domaine du digital depuis l’apparition de la carte Vitale 2, en 2007. Quant aux pharmacies en ligne, il a fallu attendre un décret daté de décembre 2012 pour statufier et encadrer la vente de médicaments par internet. Et encore cela ne concerne-t-il que les produits pouvant être obtenus sans ordonnance. Cette évolution était néanmoins rendue nécessaire pour contrer les pharmacies illégales qui pullulent sur la toile, et qui proposent la plupart du temps des produits de contrefaçon, et donc dangereux pour la santé.
Le pharmacien se trouve donc rattrapé par le digital, et doit s’y adapter. Les enjeux sont d’importance, tant pour le patient que pour le professionnel. Une prochaine étape consistera certainement à autoriser la délivrance de prescription sur ordonnance, envoyée directement à l’officine par le médecin. En plus d’être livrés à domicile, les patients pourront aussi bénéficier de confidentialité pour les médicaments dits « sensibles » (traitement antirétroviraux, viagra…), qui sont aussi les plus contrefaits. Seul risque pour le pharmacien : celui de rentrer dans une guerre des prix qui l’obligerait à fusionner au sein de grands groupements.
Une industrie pharmaceutique qui tarde à réagir
Quant à l’industrie pharmaceutique, elle n’a jusqu’alors fait qu’observer avec une certaine inquiétude un mouvement qu’elle ne maitrise pas et qui menace de bouleverser un grand nombre de ses habitudes. Aussi étonnant que cela puisse paraitre, seules 4 entreprises pharmaceutiques sur 10 ont commencé à tirer parti des réseaux sociaux pour collecter des informations, communiquer, ou encore collaborer avec des professionnels de santé.
Avec la vitesse de propagation de l’information, les grands groupes doivent aussi faire face à certaines critiques liées à leurs produits, et ne semblent pas toujours en mesure d’y apporter une réponse. Pourtant, certains groupes commencent à s’adapter à l’évolution du marché et proposent des applications sur smartphone à destination du grand-public. Sanofi, par exemple, propose un suivi pour les patients atteints de diabète. Plus original, Pfizer, pour lutter contre la pénurie de médicaments au Venezuela, a créé une application permettant de géolocaliser les officines en fonction des produits disponibles. Preuve que l’industrie pharmaceutique commence à saisir les enjeux du numérique.
Un modèle condamné à changer
Ces nouvelles habitudes transforment une vision de la santé qui n’avait guère évoluée depuis la démocratisation d’internet. En plus des avantages que pourra en tirer le patient, c’est toute une nouvelle tendance axée sur le bien-être, la prévention et la surveillance qui est en train de s’installer. L’arrivée d’outils tels que les bracelets connectés, qui permettront de relever en temps réel le rythme cardiaque ou la température corporelle amplifiera cette tendance.
Les pays émergents seront eux aussi concernés par l’usage de la technologie, qui palliera à une absence de médecins. Enfin, face à ces transformations, les pharmacies, et surtout les groupes pharmaceutiques seront sans conteste amenés à modifier profondément leur business model. Ils devront aussi profiter des opportunités offertes par les innovations présentes et futures, et se les approprier tant au niveau scientifique qu’au niveau marketing, sous peine de se voir reléguer au second plan par des acteurs plus dynamiques tels que Google, Apple, Nike ou Samsung.
Mai 02, 2014 - 07:59 AM
Très intéressant, comme souvent on ne sait si ce sera pour le meilleur ou pour….