Emmanuel Faber, directeur général de Danone a livré un discours à la tournure très personnelle lors de la remise des diplômes d’HEC dont il a lui-même été diplômé en 1986. Ce « moine soldat », comme Franck Riboud le surnomme, est devenu une figure singulière du capitalisme français. Catholique pratiquant, il appelle à un autre modèle de gouvernance d’entreprise et à la justice sociale. Emmanuel Faber prône une approche plus humaniste de l’économie de marché, allant à l’encontre d’une pensée dominante dans le CAC 40.
La cérémonie de remise des diplômes d’HEC est traditionnellement l’occasion pour les étudiants d’écouter les conseils d’une personnalité du monde des affaires. Cette année, Emmanuel Faber a succédé à Denis Kessler, P-DG du groupe de réassurance Scor. Le patron de Danone a ainsi livré un discours sur la justice sociale comme enjeu de la globalisation et de l’urgence écologique. Ses paroles ont été saluées par une assemblée composée principalement de futurs cadres dirigeants. Emmanuel Faber a par ailleurs rappelé les devoirs des privilégiés à l’égard des plus faibles.
Hommage au frère disparu
Au début de son intervention, Emmanuel Faber a d’abord longuement évoqué Dominique, son frère cadet, décédé 5 ans auparavant. Souffrant de schizophrénie lourde, ce dernier a été interné alors que le patron de Danone était étudiant à HEC. Par lui, Emmanuel Faber aura appris la beauté de l’altérité et à être heureux en vivant avec peu de choses. Il aura eu la chance d’être en contact avec des gens que son milieu professionnel ne lui aurait pas donné la chance de rencontrer autrement.
À HEC, Emmanuel Faber a acquis des outils puissants sans autre forme de questionnement. Fraichement diplômé, il entre dans la finance ; « Je n’envisageais pas d’être du mauvais côté du manche. Je voulais maîtriser l’outil et non le subir. »[1]. Après 5 ans à la Barings, il rejoint Legris Industries en 1993 puis Danone en 1997 dont il deviendra le directeur général en 2014. Là, il espère faire bouger les lignes suivant la voie tracée par Antoine Riboud, fondateur du groupe pour qui « pas de richesse économique sans développement humain »[2].
Entre quête de sens et engagement
Emmanuel Faber, a passé une grande partie de sa carrière à une recherche de sens qu’il a nourri de philosophie et de voyages en zones lointaines – Delhi, Bombay, Nairobi, Jakarta – et dans des lieux proches – Aubervilliers ou la jungle de Calais. Le patron de Danone fréquente autant les altermondialistes, avec qui il a participé au forum social de Belém en 2009, que les cercles catholiques pour lesquels il témoigne fréquemment. Il était par ailleurs un des 3 parrains français des JMJ 2011.
En 2006, sa rencontre avec Muhammad Yunnus, le créateur du microcrédit et prix Nobel de la paix 2011, a été déterminante pour l’avoir conforté dans sa direction. Le Bangladais, Franck Riboud et Emmanuel Faber créeront ensuite la Grameen Danone Foods qui produit des yaourts hautement nutritifs à bas prix. Cette coentreprise reposant sur un modèle de business social génèrera des initiatives comparables. Financées en partie par les bénéfices de Danone et en accord avec les actionnaires, elles ont permis de consolider 15.000 emplois dans de petites entreprises à travers le monde.
Une position non sans contradiction
Le discours d’Emmanuel Faber n’a évidemment pas manqué de faire ricaner ceux qui auront noté l’écart entre le « vivre de peu » du patron de Danone et sa confortable rémunération annuelle de plusieurs millions d’euros. Son entreprise est elle aussi sujette à polémiques : en 2015, le mouvement paysan international Via Campesina manifestait en marge de la COP21 pour dénoncer la politique environnementale du groupe qui était, par ailleurs, au cœur d’un scandale concernant sa stratégie de commercialisation du lait poudre SGM en Indonésie.
Emmanuel Faber croit en l’économie solidaire mais doit composer avec les impératifs et les travers d’une multinationale. Dans la continuité du plan Danone 2020, il vise à une croissance rentable et solide pour son groupe. Il a finalement accepté la contradiction et a choisi la voie de la patiente. En évoluant parmi les puissants tout en restant fidèle au bien commun, il pose une démarche qui résonnerait volontiers avec le « If » de Kipling. Si le poète anglais parle à son fils disparu, Emmanuel Faber s’adresse à un frère dont l’image le guide plus que jamais dans sa vie de patron du CAC 40.
[1] Journal La Croix
[2] Down to earth
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